05 octobre 2007

Sablier d'automne

Un petit jeu d'écriture auquel je m'adonne avec plaisir. Allez voir ici pour mieux comprendre. En deux mots, une accroche vous est imposée, à vous d'imaginer la suite du texte.

Voici l'accroche :
Ce matin, entre Adler et Duhamel, l’immuable créneau de ma douche d’avant départ au boulot, agitant mes mains ensavonnées, je fais tomber mon alliance.
Je la remets aussitôt mais avec beaucoup de difficultés qui me seront l’occasion de plusieurs vagues d’interrogation lors des minutes et heures suivantes, du séchage aux rebutantes tâches journalières et néanmoins professionnelles.


Voici pour moi…


Clepsydre et sablier
Ce matin, entre Adler et Duhamel, l’immuable créneau de ma douche d’avant départ au boulot, agitant mes mains ensavonnées, je fais tomber mon alliance.
Je la remets aussitôt mais avec beaucoup de difficultés qui me seront l’occasion de plusieurs vagues d’interrogation lors des minutes et heures suivantes, du séchage aux rebutantes tâches journalières et néanmoins professionnelles.
Rendez-vous compte du devenir sordide de cet anneau si, par malheur, le geste prompt et matinal qui me permit de lui éviter la noyade eût manqué de précision. Une alliance se débattant vainement dans une jungle où cheveux et autres échantillons pileux ayant échappé à la vigilance de leur propriétaire sont autant de lianes. Impuissant, j’aurais assisté à la digestion de mon alliance par un vortex aquatique tourbillonnant jusqu’au siphon. Je l’imaginais déjà évoluant dans l’obscurité des méandres d’une tuyauterie sonore, dans les émanations méphitiques d’interminables intestins domestiques.
Mais fort heureusement, il n’en fut rien et malgré le caractère bien matinal de cette mésaventure, je rattrapai l’anneau sans trembler. Je fus d’ailleurs le premier surpris d’une telle adresse, adresse à laquelle ni moi ni ceux qui me connaissent n’avaient été habitués.
Traitant maintenant l’anneau avec toute l’attention qui lui était due, je chassais de mon esprit les images nauséeuses qui m’avaient hanté le temps de l’incident. Le précieux objet se remettait de ses émotions dans la paume de ma main. Quant à moi, je profitais de l’eau chaude qui jaillissait comme une cascade du pommeau de la douche. Petit confort bourgeois dont il est bien difficile de se défaire…
Lorsqu’enfin je me décidai à enfiler mon alliance sur le doigt qui lui faisait office de présentoir, tout ne se déroula pas comme prévu. Hypertrophie annulaire ? Hypotrophie de l’anneau. Force était de constater que, malgré de multiples tentatives, anneau et annulaire ne s’entendaient plus. Intrigué, je me mis à scruter mon alliance dans ses moindres détails et m’aperçus alors qu’une pellicule de sable en avait recouvert l’intérieur. Une pellicule que j’eus bien du mal à retirer tant elle semblait avoir littéralement fusionné avec la métal. Quand enfin je parvins à redonner à l’or son éclat original, je remis à mon doigt cette ceinture étincelante.

Mais ce sable… d’où venait-il ?
Sablier percé d’automne, 4 octobre 2007.

20 septembre 2007

Morphée et moi

Longtemps, je me suis couché de bonne heure.
Pourquoi ? Tout simplement parce que durant des années, j'ai eu l'intime conviction que Morphée était une femme, et je ne manquais pas d'arguments pour le prouver :
- Morphée, c'est un prénom féminin, il ne peut en être autrement (implaccable comme argument !) ;
- Le "e" final de Morphée, bien que muet, atteste bien du caractère féminin du personnage. A l'instar des termes "dictée", "purée", "onomatopée", Morphée ne pouvait être que féminin (j'ai découvert bien plus tard l'existence de mots comme "musée" qui font effondrer ma théorie comme un vulgaire chateau de cartes) ;
- Et puis s'il me faut passer toutes les nuits entre ses bras, je préfère franchement que Morphée soit une femme.
Avouez que ce raisonnement a fière allure !
Pour moi, c’était donc un fait établi, Morphée était une femme. Mais attention, pas n'importe quelle femme : une créature fantasmatique, drapée d'une robe de mousseline blanche, évoluant pleine de grâce dans une atmosphère vaporeuse légèrement moite et terriblement sensuelle. Ses bras tendus vers moi ouvraient une voie royale vers sa gorge accueillante…

STOP ! On se calme !

Mais un soir, à l’aube de ma seizième année, quelle ne fut pas ma stupeur de découvrir par le truchement de quelque lecture prétentieuse que Morphée n’était pas celle que j’imaginais. Elle en était même à mille lieues. Il a bien fallu que je me rende à l’évidence : Morphée ne portait pas dans son patrimoine génétique deux chromosomes X, mais un chromosome X et un chromosome Y. Traduction : Morphée se grattait parfois les couilles à travers sa robe de mousseline pour exprimer sa satisfaction ; sa gorge était plus velue qu’accueillante ; sa pomme d’Adam était saillante ; elle chaussait du 45 et 1/2 et supportait l’équipe du PSG. Morphée n’était donc pas l’icône féminine dont je rêvais mais simplement le rejeton de la Nuit et du Sommeil. Pistonné par ses deux parents influents, le jeune Morphée — puisqu’il faut bien parler de lui au masculin — avait obtenu le job de Dieu des songes sans même passer le moindre examen.

Cette révélation fut l’un des plus terribles chocs de mon adolescence. Elle impliquait que j’avais passé les 5840 premières nuits de mon existence dans les bras d’un homme. Mon égo de jeune mâle ne pouvait supporter cette idée. Et si aujourd'hui, je suis sujet à de nombreuses insomnies, je le dois à Morphée et sa propension à entretenir la confusion des genres.

21 juin 2007

Il et la tentation

Blondes, brunes, rousses… Ces tentatrices qui dès le soir venu hantent mes pensées. Ces tentatrices qui dès le soir venu agitent leur robe sous mon nez. Ces tentatrices qui dès le soir venu frétillent au comptoir. Qu’il est difficile de leur dire non quand doucement elles s’approchent de mes lèvres, s’emparent de ma bouche et font de mon corps leur terrain d’expérimentation. Elles sont passées expertes dans l’art de se faire désirer et parviennent à provoquer en moi une vraie boulimie, un besoin impétueux d’excès. Je ne raisonne plus. Il m’en faut plus. Toujours. Je n’en ai jamais assez.

Sans elles, mes soirées sont tristes, mais par leur faute, mes nuits sont courtes. Elles m’usent, m’exténuent, siphonnent jusqu’à la dernière goutte ce qu’il me reste de volonté. Et moi, pour ça, je vais jusqu’à leur laisser une partie de ma paye…
Elles, les sadiques, moi, le masochiste.

Le lendemain, plus trace de blondes, de brunes, de rousses. Juste des signes de leur passage, comme des rappels des dérives de la veille. Car ces créatures mercantiles font payer longuement quiconque est entré dans leur jeu.
Le lendemain, l’atmosphère est lourde, méphitique. Je suis pris d’une sensation infecte de déjà-vu, de déjà vécu. Un goût amer envahit tant ma bouche que mes pensées et je jure devant dieu que l’on ne m’y reprendra plus. Jamais. C’est fini. C’était la dernière fois.

Mais ma croyance en dieu est des plus modérées et, alors que j’ai juré le matin même, le soir venu, mes résolutions s’estompent. Une fois encore, je rentre dans l’échoppe, salue les habitués dont je suis aujourd’hui. Et sans réfléchir, j’utilise les mêmes mots que la veille :

« Une bière s’il te plaît ».

02 juin 2007

Quand les mots manquent…

… le stylo ne s'arrête pas pour autant de travailler.

25 mai 2007

Georges Solar vs Mc Brassens

Il n’a ni la moustache de l’un, ni la casquette de l’autre, mais Alexis HK est pourtant bien une sorte de croisement entre Brassens et un rappeur. Brassens de par ses textes narrant des histoires et empreints de poésie, “Son histoire à lui / Celle de celui / Qui partit un jour pour où”. Le rap de par son flow, une diction particulière et assez inimitable, qui lui permet de faire entrer dans une mesure bien plus de mots que de temps. “Ecoute un peu l’histoire de Mitch le vengeur / Ecoute toujours tes rêves même si ton père te fait peur”.
Alexis HK, c’est aussi une voix, sépia, aux accents d’une époque révolue mais ne sombrant pas dans une nostalgie larmoyante. Une voix au service de textes finement ciselés “En noircissant le blanc, j’effaçais bien des peines”. Car la plume de monsieur HK est habile, son lexique est riche. L’équilibre est précaire lorsqu’on ose quelques préciosités tout en s’interdisant de tomber dans le discours ampoulé.

Mais plutôt que de sombrer dans le dithyrambe, la meilleure chose qu’il me reste à faire est de vous conseiller l’écoute de quelques de ses morceaux en visitant cette page.

09 mai 2007

Retraite OCB (Odet-Cascadec-Bolloré)

Pour prendre l’entière mesure de ma nouvelle fonction, en peser les responsabilités, les devoirs et les obligations, réfléchir à la composition de l’équipe qui m’accompagnera dans mon ambitieux projet de rénovation de mes idées, j’ai décidé de m’accorder une semaine de méditation dans un lieu tenu secret.
Loin de tout confort matériel (wc sur le palier, pas de douche haut-débit, ni bistrot, ni bureau de tabac, ni maison de la presse à moins de 2,5 km, etc.), je m’adonnerai aux plaisirs trop rares de la France qui se lève tard. De la France qui n’en branle pas une sur une chaise longue, regrettant de s’y être installé sans avoir préalablement pensé à se servir un café et pestant d’avoir laissé ses cigarettes sur une table distante de plus d’un bras. Un grand bol de nature, saupoudré de pollen pour entretenir un terrain allergique plus fertile qu’un champ de maïs transgénique !
Et la mer, je ne vous ai pas parlé de la mer ! Une mer à 12 °C capable de raffermir les chairs des plus flasques d’entre nous. Ou plutôt d’entre ceux que cette température ne rebute pas. Personnellement, cette fraîcheur me fait préférer les plaisirs de l’estran à ceux de la baignade. Ce n’est pourtant pas le courage qui me fait défaut car j’ose plonger sans rechigner dans un liquide à 10-12 °C s’il vient de Bourgogne et répond au nom de Chablis. Pour éviter l’hydrocution, je commence doucement, par le nez, laissant le temps à ma bouche de prendre la pleine mesure (et oui encore cette pleine mesure) de ce qui l’attend. Puis je me lance dans une douce dégustation. C’est tout l’honneur que l’on réserve au premier verre ; j‘épargne généralement au dixième ce cérémonial !
J’ai conscience que, rompus à la communication et à l’analyse de l’image, certains d’entre vous verront dans ce récit des signes ostentatoires de vacances, mais ne vous méprenez pas : il s’agit bien d’une retraite que je m’offre aujourd’hui, ne sachant si elle pourra m’être assurée plus tard.

01 mai 2007

Les (He)RG(é) vont chez Pic(c)ard

Les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ne saurait être que fortuite.
Mais là quand même, c’est troublant…
A gauche, Auguste Piccard, physicien suisse de la première moitié du XXe siècle, père du bathyscaphe, le premier sous-marin dédié à l’exploration des abysses.
A droite — est-il besoin de le présenter —, le fameux Professeur Tournesol, inventeur de son état. Il est pour les sourds ce qu’Amadou et Mariam sont pour les aveugles… Quoi que ce dernier point soit discutable.

(Note aux aveugles qui me lisent : ne voyez pas la moindre attaque dans ces propos que les sourds pourront réécouter prochainement sur ma webradio.)

26 avril 2007

Acuité oulipienne



J’ai travaillé récemment sur des articles liés à l’ophtalmologie. Au cours de mes recherches, j’ai découvert un détail qui m’a ravi. L’échelle de mesure de l’acuité visuelle — dite échelle de Monoyer —, présentée ci-dessus, est discrètement signée de la main de son créateur. Ou presque.

C’est vers l’acrostiche qu’il faut chercher la réponse…





Merci Ferdinand Monoyer pour ce clin d'œil très oulipien !

13 avril 2007

Bois de Ben

Malgré le départ officiel des enfants de Don Quichotte, le canal Saint-Martin continue d'offrir un spectacle surprenant. Côté ouest, quai de Valmy, une quinzaine de tentes forment une haie diaprée de rouge et de jaune. Côté est, quai de Jemmapes, un élevage tout aussi coloré de jeunes bobos venus profiter de la lumière vespérale. Au centre, 20 mètres d'un ruban d'eau, frontière aquatique séparant deux tribus. Deux mondes qui s'observent, se toisent, s'épient, mais deux mondes où le tourisme est rare : seuls quelques téméraires franchissent le Rubicon — d'ouest en est, aucun voyage dans l'autre sens n'a à ce jour été recensé — en quête d'une cigarette, d'une pièce, d'une bière… Le SDF trouve sur la berge d'en face son "rebeu", épicerie fine ouverte à toute heure. Drôle de revanche ! D'autres, encore plus rares, viennent simplement discuter.

Fracture dans le continuum spatio-temporel
Telle a été la démarche de Ben avec qui je partageais un point commun avant même de le connaître : un taux élevé d'alcool dans le sang. Ben a mon âge mais en paraît le double (à moins que ce soit moi qui, par flemme, ai décidé de ne même pas faire le mien) et me parle d'Einstein pour expliquer cette différence d'apparence : " Prends des jumeaux, fais passer à l'un neuf ans dans la rue, et à l'autre neuf ans dans le confort d'un nid douillet. Au terme de cette expérience, je te promets que les deux frères n'auront plus le même âge. C'est la théorie de la relativité appliquée à la galère !".

Mercedes Ben
Un personnage très étonnant ce Ben. Il a ensuite tenu à me montrer le don qu'il cultive depuis qu'il a conscience de le posséder : une forme de télékinésie. Moi, Saint Thomas du canal Saint-Martin, je ne crois que ce que je bois vois et demande donc une preuve. Ni une, ni deux, voilà Ben au milieu de la rue, insultant les voitures tout en les sommant de s'arrêter. "Et vous n'avez pas intérêt à klaxonner", hurlait-il ! Et là, il me lance "je peux aussi les faire bouger si je veux". Ben se met alors à trottiner, les voitures roulant au pas derrière lui. Il me regarde et dit "tu vois, je ne te mens pas !"

Ben ça alors
Je rapporte deux bières, bien décidé à poursuivre mon entrevue avec Ben. Et alors que tout semblait calme dans la tribu de l'ouest, Ben me dit : "ça y est, ça recommence". Pour ma part, je ne constate rien d'anormal. Pas un bruit. Tout me paraît plutôt serein. Mais à peine trente secondes plus tard, deux personnes se jettent l'une sur l'autre, criant et s'injuriant à s'en époumoner. Une demi-douzaine de leurs compagnons d'infortune tente de les séparer. Les bruits de coups résonnent, se foutant bien de la frontière entre les deux mondes. Mais comment Ben a-t-il pu anticiper une bagarre, trente secondes avant qu'elle éclate ? Il s'amuse de ma surprise et finit par récompenser mon insistance en consentant à me révéler son secret : tout à l'heure quand il se trouvait à l'ouest, l'ambiance était déjà explosive mais une camionnette de police en faction devant les tentes calmait les ardeurs de chacun. Ben a vu la camionnette démarrer puis s'éloigner doucement. Signal pour qu'éclose ce qui couvait depuis déjà trop longtemps : deux personnes décident d'en découdre. Visionnaire ce Ben.

This is the ben
Tout en sirotant sa bière, Ben me dit que pour lui, le désordre est dans l'ordre des choses. Pour preuve son "envie de pisser". Son urine, enfermée dans sa vessie, représente une forme d'ordre puisqu'elle est contrainte à s'adapter au volume de son contenant. Son "envie de pisser", elle, est l'expression de son besoin de désordre. "Et le passage de l'ordre au désordre libère de l'énergie" ajoute-t-il. Justement Ben s'en va "vider sa pile", "répandre son désordre", "décharger son accu"… un vrai poète.

Il n'est jamais revenu.

05 avril 2007

Le progrès ne vaut que s'il est partagé par tous

La SNCF, déjà forte des récents exploits du TGV Est, a battu ce matin un nouveau record de vitesse. Un train de banlieue a en effet été chronométré à plus de 5 km/h dans une zone où la vitesse est normalement limitée… à 0 km/h ! Un exploit qui a mis à rude épreuve les butoirs du quai de la gare de l’Est et le corps de 70 des 1000 passagers de la rame : ces derniers, sans doute pas suffisamment préparés à un tel exploit sportif, souffrent de légers traumatismes (côtes fêlées, nez cassés, etc.).
Espérons simplement que cette belle image de sport ne soit pas une fois de plus entachée par un problème de dopage. Les laboratoires Bacchus vérifient actuellement les analyses sanguines du pilote, afin d'homologuer ou d'invalider le nouveau record.

02 avril 2007

30 mars 2007

Autodafé du week-end

Au cours de ma prime jeunesse, l’évocation du Nom de la rose me faisait immanquablement penser à Jean-Jacques Annaud. J’associais alors le nom d’Umberto Ecco à la musique pop italienne. Sans doute est-ce pour cette raison que je pardonne facilement à toute une génération d'attribuer à Patrick Bruel la paternité de morceaux tels que la Java Bleue, La complainte de la butte ou Les amants de Saint-Jean. Le Nom de la rose n’existait en outre pas dans la Bibliothèque verte qui devait être à cette époque ma principale source de lecture.

Mais, alors que mes douze ans auraient dû être horrifiés par la barbarie de l’Inquisition, arrachant ongles, membres et aveux à des prétendus hérétiques, il n’en fut rien. Ou plutôt, la vue d’un bûcher rôtissant une paysanne accusée de sorcellerie me glaça bien moins le sang que le gigantesque autodafé des livres de la bibliothèque interdite. Je trouvais la destruction d’ouvrages compilant le savoir de plusieurs vies consacrées à la connaissance plus insupportable que la condamnation à mort d’êtres humains suite à un simulacre de procès.
Cette pensée m’effraie. Mais fort heureusement, elle ne s’éveille qu’à la vision de ce film (j’en ai refait l’expérience récemment). Elle traduit un attachement certain pour le livre, tant pour le caractère immuable de son contenu que pour l’objet lui-même, et explique sans doute pourquoi malgré l’exiguïté d’un appartement parisien, j’arrive à en accumuler toujours davantage dans un espace fini.

Et je ne saurais en rester là sans faire l’article d’un des habitants de ma bibliothèque : Samedi, le dernier roman de Ian McEwan. Plus de 300 pages pour narrer 24 heures de la vie d’un neurochirurgien londonien. Rassurez-vous, il ne se nomme pas Jack Bauer et, bien qu’il sauve lui aussi des vies, son existence est bien plus paisible. Marié, père d’un guitariste de blues et d’une poétesse, le docteur Perowne semble comblé et pourrait faire craindre un récit exceptionnellement fade. Mais ce serait sans compter sur le sens aigu de l’observation de Ian McEwan qui, au travers du prisme d’un homme apparemment sans problème, décrit avec finesse les troubles et les angoisses d’un Occidental en ce début de XXIe siècle.

Samedi, Ian McEwan (Gallimard)

25 mars 2007

Eau de source et ode au comptoir

J’ose le dire sans ambages : j’aime les bistrots. Du bar-tabac à l’établissement plus chic (enfin pas trop non plus), du petit café de quartier à la brasserie la plus impersonnelle, je m’y sens bien. Cette propension à y passer des heures ne requiert qu’une seule condition : la présence d’un comptoir. Ce qui exclut sans autre forme de procès les établissements dits branchés. Ceux qui agitent ostensiblement leur qualité de bar « lounge », terme sibyllin s’il en est, avec pour seul objectif de vous faire mieux digérer la bière à 8,50 €. Le genre de grande salle aseptisée dont l’hygiène ferait blêmir de jalousie un bloc opératoire — pourtant déjà naturellement pâle — et dans laquelle l’outrecuidance de vouloir boire un verre au comptoir vous fait passer pour le dernier des malotrus. Mais je me perds dans une diatribe qui risque fort de me faire oublier l’objet initial de ma déclaration, l’amour du véritable bistrot.

Le bistrot m’a fait découvrir une nouvelle catégorie d’amis. Des personnes que rien ne me prédisposait à rencontrer mais que la fréquence d’une proximité géographique a fini par me faire apprécier. Et bien que je n’aie pas pour habitude de mettre les gens en boîte, je me suis résolu à faire à ces connaissances une place dans mon panthéon des personnes qui me sont chères. « Les potes de comptoir ».

Des potes de comptoir, il en existe pour chaque heure, en fonction de son rythme de vie. Mais deux comptent réellement pour moi.

Ceux du matin, qui laissent le temps d'un café à une marque d’oreiller tenace pour s’estomper avant de se rendre au travail. L’un arrive à 8h32, après avoir déposé sa petite dernière à l’école toute proche. L’autre à 8h38 les bons jours, plus souvent à 8h47 car il a toujours préféré aux bons jours les bonnes nuits. A cette heure matinale, les mots se font rares mais la présence rassurante. Et s’il en manque un, c’est qu’il est… Ah non, je laisse ce genre d’idée à Brassens !

Ceux du soir, dont la seule vue suffit à sonner le glas d’une journée, souvent trop longue, à s’user les doigts sur un clavier et les yeux derrière un écran. Ils connaissent mon travail comme je connais le leur, sans l’avoir jamais exercé. Et ils s’accordent comme moi à dire qu’il vaut mieux s’user les coudes sur un comptoir ! Nous ne nous voyons jamais en dehors de ce sas qui mène du bureau à chez nous. Nous n’en éprouvons pas le besoin. Je connais leur famille et leurs amis, sans jamais en avoir rencontré le moindre échantillon. Nous n’en éprouvons pas le besoin. C’est un instant précieux dans une journée, vital comme un palier de décompression à un plongeur qui aurait troqué ses bouteilles contre un ballon de rouge. Ou d’autre chose… Au choix.

Allez, un dernier verre et on y va.

23 mars 2007

Bouillon de culture

Cette année encore, du 23 au 27 mars, le hall 1 du parc des expositions de la porte de Versailles devient la plus grande librairie de France. C’est en effet aujourd’hui que débute le Salon du livre, qui célèbre pour sa 27e édition la littérature indienne. Imaginez : quelque 150 000 personnes qui, en 5 jours, naviguent de stand en stand, se pressent et se délectent de romans, de nouvelles, d’essais, de contes, de BD, de livres d’art, poussés par une soif insatiable de culture… Dans ces 50 000 m2, il n’est pas rare de surprendre deux enfants discuter simplement du développement non linéaire du récit dans l’œuvre d’Alain Robe-Grillet, arguant leur parfaite maîtrise du nouveau roman.
Un monde somme toute très ordinaire.

Mais la réalité en est à mille lieues. Pour preuve, la soirée inaugurale à laquelle je me suis rendu hier. 10 000 personnes — triées sur le volet, évidemment… — qui, n’assumant pas le rôle de pique-assiette que je revendique outrageusement, se sentent obligés de revêtir leur costume d’éditeur, espérant ainsi se fondre dans la masse. Comment les reconnaître ? Tout d’abord à leur longue écharpe, généralement blanche, négligemment jetée autour du cou et pendant jusqu’à mi-cuisse. Là-dessous, un costume sombre, soigné mais sans excès. Une voix artificiellement grave, qui sait recouvrer son timbre original au premier petit four mal orienté, permet de saluer la blonde plantureuse croisée sur la terrasse du stand Gallimard. Cette créature réunit autour d’elle un groupe de mâles plus hétérosexuels qu’hétérogènes et attise la verve des plus entreprenants. Jusqu’à ce qu’elle leur avoue dans un anglais approximatif qu’elle n’entend pas un mot de français. Au suivant !
Champagne et jolies femmes sont les deux mamelles de la culture.

Pourquoi tant d’efforts quand une paire de vieilles baskets, une veste hors d’âge aux coudes usés par les comptoirs et une tignasse assez peu disciplinée, suffisent à boire le même champagne, à manger les mêmes petits fours et finalement, à passer pour quelqu’un de certainement très en vue. Oui, car votre accoutrement suscite la curiosité : si vous osez sortir ainsi, sans doute n’avez-vous plus rien à prouver ; et si vous n’avez plus rien à prouver, sans doute êtes-vous un des auteurs les plus « bancables » du moment.
« Ah, si seulement je m’intéressais aux livres, je l’aurai reconnu. »
Perdu.

Bilan de la soirée : quelques bonnes tranches de rigolade… et un léger mal de crâne pour me rappeler que mon organisme est plus habitué au vin rouge et à la bière qu’au champagne.

Des livres ? Quels livres ?

19 mars 2007

Et si c'était vrai

Zinc sur zinc, la nouvelle émission politique d'Anne Moinclair… (si tu n'aimes pas les jeux de mots pourris, alors passe ton chemin).

Le plus dur dans les promesses, c’est de les tenir…
Ségolène Royal, en visite ce week-end dans une maison de retraite, a promis à trois centenaires de belles élections matinales. Comme quoi, il n’y a pas d’âge pour être membre actif au PS. Et comme l’a prouvé avant eux François Mitterrand, rien n’empêche d’être prostate et antilibéral.

Au royaume des aveugles…
François Bayrou, questionné par une journaliste de Radio Phtalmo sur la capacité de Jean-Marie Le Pen à être présent au second tour, a répondu : « S’il croit lire l’avenir dans une boule de cristal, il se met le doigt dans l’œil de verre ! ».

Les implants de Mamère
Noël Mamère, déçu par le comportement des Verts, n’exclut pas de s’installer dans la Silicon Valley pour ouvrir un commerce d’implants capillaires.

La révolution des lettres
Olivier Besancenot a reçu ce lundi les insignes de chevalier dans l’Ordre national des Arts et des Lettres, des mains du ministre de la culture Renaud Donnedieu de Vabres, au cours d’une cérémonie tenue au ministère. Très ému, Olivier Besancenot a déclaré : « A travers moi, ce sont tous les hommes de lettres que sont les facteurs que vous décorez ».

15 mars 2007

Photo de campagne

On a retrouvé la septième compagnie…

13 mars 2007

I love rock'n'roll

Deux guitares, une basse, un clavier et une batterie… Quoi de mieux pour jouer du rock’n’roll ? Et bien rien !
Une salle rectangulaire, avec d’un côté une scène, de l’autre un bar, et entre les deux, 300 personnes… Quoi de mieux pour jouer du rock’n’roll ? Et bien rien !
Un guitariste chevelu, aux joues creusées et recouvertes d’une barbe faussement négligée… Quoi de mieux pour jouer du rock’n’roll ? Et bien rien.

Car il s’est bien agi de rock’n’roll, vendredi dernier à la Boule Noire, jolie salle jouxtant la Cigale. Et ceux qui nous ont gratifiés de ce concert ne sont autres que les Rita Mitsouko, qu’il n’est nul besoin de présenter mais dont on peut toujours parler tant ils parviennent à se renouveler à chaque nouvel album.

Les années ont sur Catherine Ringer un effet plus qu’enviable. Non contentes de ne pas altérer sa voix aux graves suaves et aux aigus percutants, elles donnent au personnage une élégance et une grâce que je ne lui connaissais pas jusqu’alors.
Fred Chichin n’est pas en reste. Savoureux mélange entre Jean-Hugues Anglade dans 37°2 le matin et Jean Rochefort aujourd’hui (si si je vous assure), il traîne toujours cette mine patibulaire, cette gueule, sur laquelle le plus petit rictus trahit un bonheur immense d’être sur scène.

Et la musique dans tout ça ? Un concert en deux sets, le premier présentant les morceaux de l’album à paraître fin mars, le second reprenant des chansons des précédents opus. Mais pas de nostalgie à outrance : hormis « C’est comme ça », les Rita n’ont pas entonné les tubes qui ont fait leur succès dans les années 80. Ces tubes, justement, ne seraient-ils pas la pommade que passent les groupes en manque de nouvelles bonnes chansons sur les oreilles d’un public qu’il faut bien tenter de conserver ? Alors, même si comme beaucoup, j’aurais aimé brailler sur Marcia Baila ou encore sur Andy, et bien je remercie les Rita Mitsouko de ne pas sombrer dans une pusillanimité qui les empêcherait d’innover encore et toujours.

27 février 2007

Sonates de bar

Un recueil de nouvelles. Jusque-là, rien de surprenant.
Oui, mais des nouvelles courtes : un feuillet un tiers chacune. Pourquoi pas ?
Chaque texte est prétexte à donner une recette de cocktail. Tiens, l’auteur est joueur.
Une nouvelle intitulée « La disparition à Raymond », ne comportant qu’une seule fois la lettre « e »… Plus de doute, un oulipien se cache derrière tout ça !
Hervé Le Tellier est effectivement un membre toujours actif de l’Oulipo, en plus d’officier sur France Culture dans l’équipe des Papous dans la tête ou d’écrire un billet quotidien dans la micro-édition matinale du Monde.fr.

Sonates de bar est sa première publication et consiste en un recueil de 88 nouvelles de 2000 signes, dissimulant chacune une recette de cocktail. Mais c’est avant tout l’histoire d’un bar de la 40e rue — le Jays’s — et trois personnages pour le faire vivre : Rose la serveuse, Jay le barman et Archie le pianiste qui chante le blues. Tantôt comédiens, tantôt spectateurs du petit théâtre de leur « cuivre », ils voient défiler une clientèle que seule la nuit peut offrir. Une clientèle que l’alcool réunit. Le paumé boit pour oublier, le vieillard pour se souvenir, les amoureux pour s’enivrer. Le lecteur, lui, est au coin du bar, là où l’obscurité lui permet de ne jamais déranger la pièce qui se joue sous ses yeux. Voyeurs ? Non, juste amoureux d’un comptoir comme une moto de son side-car.
Et la magie du lieu fonctionne. Vous ouvrirez ce livre aussi facilement que la porte du bistrot dans lequel vous vous abandonnez au plaisir de l’ivresse. Au terme de ces 88 saynètes, sans doute vous surprendrez-vous à espérer que l’auteur vous en remette une tournée.

Sonates de bar, Hervé Le Tellier (Le castor astral)

22 février 2007

Paradoxes

Les livres que l’on n'a pas lus (suite)
Pierre Bayard écrit à la première personne mais parle au second degré. Le narrateur n'est pas (pas toujours ?) l'auteur. Plutôt une espèce de beauf pusillanime, se vantant de n’aimer dans la littérature que l’élévation sociale inhérente à sa prétendue maîtrise… Cet ouvrage est une étape de plus — une des plus médiatisées — dans le parcours de cet essayiste nomade qui profite de ce livre pour dresser un portrait au vitriol du petit monde de la littérature.


Parler des livres que l’on n'a pas lus… et enseigner ce qu’on ignore
Et ce fameux titre, Comment parler des livres que l’on n’a pas lus, m’a immanquablement rappelé un livre de Jacques Rancière intitulé Le Maître ignorant (sous-titré Cinq leçons sur l’émancipation intellectuelle). Dans cet ouvrage, Joseph Jacotot, révolutionnaire exilé et lecteur de littérature française à l’université de Louvain, décide d’enseigner les disciplines qu’il ignore lui-même.
Loin de la farce littéraire, Le maître ignorant est un véritable traité philosophique sur la didactique. Un discours accessible pour une belle idée selon laquelle l’instruction est comme la liberté : elle ne se donne pas, elle se prend.

Le maître ignorant, Jacques Rancière
Paru aux éditions Fayard en 1987, récemment réédité en poche chez 10/18.

20 janvier 2007

Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ?

« Né dans un milieu où on lisait peu, ne goûtant guère cette activité et n’ayant de toute manière pas le temps de m’y consacrer, je me suis fréquemment retrouvé, suite à ces concours de circonstances dont la vie est coutumière, dans des situations délicates où j’étais contraint de m’exprimer à propos de livres que je n’avais pas lus. »
C’est ainsi que Pierre Bayard, professeur de littérature à l’Université Paris VIII, débute son essai Comment parler des livres que l’on n’a pas lus.
Je ne peux donc résister à l’envie de prendre Pierre Bayard au pied de la lettre en chroniquant son ouvrage sans prendre la peine de l’ouvrir ! Mais me voilà confronté à un réel problème : cet exercice semble requérir une méthode, ou tout du moins quelques outils, que je ne maîtrise pas. A moins de lire à mon tour ce livre…
Bref, tout ceci me semble parfaitement insoluble, c’est pourquoi je vais de ce pas me rendre dans ma librairie favorite pour faire l’acquisition d’un livre qui, faute de révéler la formule magique permettant de briller en société, peut déjà se targuer d’être une des plus belles réussites marketing de ce début d’année 2007 !

Comment parler des livres que l'on n'a pas lus ?, Pierre Bayard (Les Editions de Minuit)

12 janvier 2007

Un homme est mort

Brest. Déjà cinq années que la guerre s’est tue mais les bombardements ont transformé la ville en un gigantesque champ de ruines. Un désert au bord de la mer. Mais un désert grouillant de bâtisseurs de tous poils qui, en un temps record, vont redonner des habitations décentes aux Brestois qui logent alors dans des baraques. De l’ancienne ville fortifiée, il ne reste à peu près rien. Le choix d’une architecture moderne, rigoriste, hissant l’orthogonalité au rang de paradigme esthétique, allait donner naissance à « Brest-la-Blanche ». Peu s’en souviennent et c’est « Brest-la-Grise » qui marque aujourd’hui l’esprit des visiteurs de cette cité du bout du monde.
Du travail, il y en a pour tous, mais les conditions sont éprouvantes dans une ville où tout est à reconstruire. La colère gronde chez les ouvriers des chantiers. En 1950, c’est la grève. Le 17 avril, après un mois de mouvement, un cortège de plusieurs milliers d'hommes manifeste, malgré une interdiction tant officielle que douteuse. La tension monte face aux forces de l’ordre qui s’apprêtent à commettre l’irréparable. Rue Kérabécam, à une enjambée de l’hôpital, les manifestants sont mis en joue. Des coups de feu retentissent. On dénombre plusieurs blessés mais surtout un mort : le jeune Edouard Mazé.
Le lendemain, le cinéaste militant René Vautier répond à l’invitation de la CGT. Il arrive à Brest pour réaliser un documentaire sur le drame et ses conséquences.

L’histoire d’un film aujourd’hui disparu.

Petit chef-d’œuvre de la BD, cet album témoigne d’une Histoire qui n’entre que rarement dans les livres. Des personnages forts et attachants évoluent sur fond de lutte sociale. Parallèlement, et même s’il n’en est pas clairement question, la Guerre d’Indochine transpire dans le récit. Et lorsque la poésie de Paul Eluard se confond avec les embruns d’une Bretagne forte en culture, on ne peut que s’incliner !

Un homme est mort, Kris et Davodeau (Futuropolis)
 

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