20 septembre 2007

Morphée et moi

Longtemps, je me suis couché de bonne heure.
Pourquoi ? Tout simplement parce que durant des années, j'ai eu l'intime conviction que Morphée était une femme, et je ne manquais pas d'arguments pour le prouver :
- Morphée, c'est un prénom féminin, il ne peut en être autrement (implaccable comme argument !) ;
- Le "e" final de Morphée, bien que muet, atteste bien du caractère féminin du personnage. A l'instar des termes "dictée", "purée", "onomatopée", Morphée ne pouvait être que féminin (j'ai découvert bien plus tard l'existence de mots comme "musée" qui font effondrer ma théorie comme un vulgaire chateau de cartes) ;
- Et puis s'il me faut passer toutes les nuits entre ses bras, je préfère franchement que Morphée soit une femme.
Avouez que ce raisonnement a fière allure !
Pour moi, c’était donc un fait établi, Morphée était une femme. Mais attention, pas n'importe quelle femme : une créature fantasmatique, drapée d'une robe de mousseline blanche, évoluant pleine de grâce dans une atmosphère vaporeuse légèrement moite et terriblement sensuelle. Ses bras tendus vers moi ouvraient une voie royale vers sa gorge accueillante…

STOP ! On se calme !

Mais un soir, à l’aube de ma seizième année, quelle ne fut pas ma stupeur de découvrir par le truchement de quelque lecture prétentieuse que Morphée n’était pas celle que j’imaginais. Elle en était même à mille lieues. Il a bien fallu que je me rende à l’évidence : Morphée ne portait pas dans son patrimoine génétique deux chromosomes X, mais un chromosome X et un chromosome Y. Traduction : Morphée se grattait parfois les couilles à travers sa robe de mousseline pour exprimer sa satisfaction ; sa gorge était plus velue qu’accueillante ; sa pomme d’Adam était saillante ; elle chaussait du 45 et 1/2 et supportait l’équipe du PSG. Morphée n’était donc pas l’icône féminine dont je rêvais mais simplement le rejeton de la Nuit et du Sommeil. Pistonné par ses deux parents influents, le jeune Morphée — puisqu’il faut bien parler de lui au masculin — avait obtenu le job de Dieu des songes sans même passer le moindre examen.

Cette révélation fut l’un des plus terribles chocs de mon adolescence. Elle impliquait que j’avais passé les 5840 premières nuits de mon existence dans les bras d’un homme. Mon égo de jeune mâle ne pouvait supporter cette idée. Et si aujourd'hui, je suis sujet à de nombreuses insomnies, je le dois à Morphée et sa propension à entretenir la confusion des genres.
 

statistique