13 décembre 2006

La forme de l'eau

Je ne lis que très peu de polars et ne détiens pas toutes les clés de la construction de ce genre d’ouvrage. Mais il me semble pourtant que La forme de l’eau,
d’ Andrea Camilleri, illustre bien ce que l’on recherche dans ce style littéraire : la découverte d’un corps – bien sûr -, dans une décharge publique où officient des prostitué(e)s de tous genres ; une mafia sicilienne qui fait régner la loi du silence ou fait taire quiconque pourrait nuire à ses intérêts ; et le commissaire Montalbano qui rechigne à porter une arme trop lourde qui déforme les poches de son costume. Si de premier abord, ce tableau apparaît assez sombre, le livre n’en est pas pour autant dénué de finesse. Le ton utilisé par l’auteur sert à merveille la nonchalance d’un commissaire qui sait d’expérience que la vérité ne se trouve qu’aux frontières de la légalité. C’est sans violence et à son rythme que Montalbano nous guide au travers des méandres d’une affaire apparemment trop simple, s’offrant le temps de souligner l’éloquence d’un avocat capable de prononcer « improcrastinabilité » sans même bafouiller.
Un livre qui rentre dans ma catégorie – fort respectable et appréciable – « lecture SNCF » : sa lecture vous fait occulter le son du DVD que regarde, sans casque, votre voisin et atténue l’odeur des œufs durs dont se délecte bruyamment le vieux garçon endimanché assis derrière vous.

La forme de l'eau, Andrea Camilleri (Fleuve Noir)

08 novembre 2006

Blanche

Blanche s’élance d’un avion, parachute sur le dos, et profite alors de l’espace qui fait la vie. Son compagnon n’ose la suivre, trop inquiet de ce qui l’attend dehors. Ce n’est que lorsque Blanche lui annonce qu’elle est enceinte qu’il se jette à son tour dans le vide. Mais son vide à lui est une histoire d’amour, ponctuée d’appels téléphoniques mystérieux et d'un voyage vers une île non moins mystérieuse.
Un malaise dans un train et voilà Blanche et le narrateur accueillis par un couple dans une ferme. Loin de tout, mais sous un ciel où planent des parapentes comme autant d'étoiles filantes en plein jour. Le ventre de Blanche change. Leur enfant y vit comme ses parents dans la caravane qui leur fait office de maison. Blanche, elle, reste attirée par le vide.

Le rêve d’un saut en parachute dans le seul but de revivre sa naissance une seconde fois.

On sort de Blanche comme d’un rêve. Convaincu, à juste titre, d’avoir passé un moment délicieux ; incapable de décrire précisément les éléments qui ont bâti cette sensation douce. Et c’est là le talent de Patrice Pluyette. Son style à la fois concis et aérien, n’usant que de phrases courtes et d’un vocabulaire simple, sert une poésie sensible et accessible qui crée une véritable intimité avec le lecteur.

Blanche, Patrice Pluyette (éd. Seuil)

05 octobre 2006

L'usage du monde

La description d’un paysage, d’un sentiment ou d’une humeur ne souffre pas la médiocrité. Faute de quoi elle devient aussi laborieuse et rébarbative que la soirée diapo d’un couple d’amis — piètres photographes mais charmants au demeurant — au retour de fabuleuses vacances… Et c’est parfois ce que je reproche aux récits de voyage qui, sous prétexte que l’aventure devrait suffire à contenter le lecteur, négligent la qualité du propos, usant et abusant d’une langue pauvre et morne. Les grands espaces supportent mal les champs lexicaux étriqués.
Si comme moi vos a priori sur ce genre d’ouvrages avaient la peau dure, alors laissez-vous happer par la plume de Nicolas Bouvier. Dans L’usage du monde, récit d’un voyage qui conduira l’auteur et son ami Thierry Vernet de la Yougoslavie à l’Afghanistan, la moindre description se fait holographique : une panne mécanique sur une piste isolée et c’est déjà l’odeur du cambouis qui a envahi vos narines ; l’évocation d’un soleil de plomb suffit à faire perler sur votre front une goutte de sueur ; l'odeur âcre de l'opium semble émaner des pages… Tout dans ce livre est palpable, même la lenteur que Bouvier revendique comme le luxe ultime.
« Assez d'argent pour vivre neuf semaines. Ce n’est qu’une petite somme mais c’est beaucoup de temps. Nous nous refusons tous les luxes sauf le plus précieux : la lenteur. »

Le livre existe en Poche, mais je ne saurais trop vous conseiller la réédition à l’identique de la version originale par la Librairie Droz. Elle est certes un peu plus chère mais les illustrations de Thierry Vernet qui y figurent valent largement ce petit effort.

L'usage du monde, Nicolas Bouvier (Droz)

03 octobre 2006

Corpus Christine

Un coup de foudre, une idylle de 12 ans, puis une chute. La chute d’un toit, certes, mais aussi et surtout une descente en enfer. Condamné à demeurer en position horizontale, l’homme ne peut être que spectateur de la transformation de sa femme en un bourreau dont la négligence n’a d’égal que sa cruauté. Affamé, cloîtré dans une chambre à l’atmosphère méphitique, il sombre doucement dans la démence, se convainc que sa femme a ourdi ce complot dès les premiers jours de leur relation. Il oscille alors entre la haine née de son envie de survivre et un amour masochiste, « stockholmien », qui fait du corps adipeux de sa femme un objet de fantasme.
Lire Corpus Christine, c’est accepter d’être l'interlocuteur d’un anti-héros notoire qui n’hésite pas à malmener son unique confident : le lecteur. Et c’est alors au tour du lecteur de se faire masochiste. N’en déplaise à certains. Pas à moi.

Corpus Christine, Max Monnehay (éd. Albin Michel)

02 octobre 2006

Le Jour du Seigneur

Ce matin, j'ai loupé le Jour du Seigneur...
C'est pourquoi je décidai d'organiser le soir même une petite messe avec trois amis. Notre lieu de culte portait un nom étrange : le Café Fusée. Dans ses murs, pas d'Ave Maria, mais un concert de jazz chaleureux comme une chorale de gospel.

(Manger c'est mon corps...)
Au moment de l’eucharistie, on nous proposa des hosties de deux sortes : les premières, de forme ovoïde, avaient un goût d'arachide ; les suivantes — une spécialité appelée "saucisse sèche" — nous furent recommandées par le maître d'autel, le Père Benjamin.

(Buvez c'est mon sang...)
Et pour accompagner ces quelques amuse-bouche, nous commandâmes un petit vin de messe. Pas dégueu ce Gamay, vraiment une bonne adresse !
Pendant plus de deux heures, mes amis et moi nous priâmes : "Notre père qui êtes au bar, veuillez pardonner nos offenses et nous remettre la même. Amen". Il fallut attendre que résonne le carillon et que Père Benjamin nous annonce la fin de l'office (en ces termes : "ON FERME !") pour qu'enfin nous sortissions de notre méditation. Après une généreuse donation pour les œuvres de la paroisse, mes amis, ma guitare et moi-même, nous partîmes à la recherche d'une auberge où nous restaurer.

Nous fîmes quelques pas dans le quartier de Bobobourg. Tout était si calme. Les paroissiens ne se bousculaient pas en ce dimanche soir. Puis nous arrivâmes au bistrot Bobobourg, établissement fort sympathique, proposant une cuisine française simple et conviviale à un prix tout à fait raisonnable. Quelques andouillettes / frites / Bourgogne Pinot noir plus tard, on nous apporta les desserts : quatre splendides verres de calva à la robe ambrée si élégante. Tellement élégante que nous ne pûmes résister à la tentation d'en commander un second. Nos âmes de ménestrel, toutes guillerettes, nous invitèrent alors à pousser la chansonnette (merci petite guitare de m'accompagner dans toutes ces occasions). Et là, gentiment, l'aubergiste accepta de nous rincer le gosier à grand jet de cervoise. Comment refuser ? Nous ne trouvâmes pas de réponse à cette question. Résignés, nous ne pûmes qu’accepter.
A force de boissons et de chansons, nous perdîmes toute notion de temps, si bien qu'au moment de rentrer, plus de calèche en commun ! Nous fûmes condamnés à marcher pour les uns et à trouver une calèche personnelle pour les autres. J'optai pour les uns.

Le dernier verre est emprunt de mysticité : il a ceci de supérieur au premier qu’il porte en lui la notion d’éternité.

29 septembre 2006

Maman, le plus vieux métier du monde...

Une récente étude du Conseil National de Recherche du Canada, dont les résultats ont inondé nos quotidiens cette semaine, a offert à la France un record que la plupart des médecins ne s’expliquent toujours pas à ce jour. Il semblerait en effet que la « jeune maman » la plus âgée du monde vive quelque part en plein cœur de Paris, forte de ses quelque 500 ans d’existence ! Comment cette femme, objet de fantasmes divers et condamnée à vivre recluse dans une cave, laissant un de ses sosies œuvrer à sa place pour contenter le regard de milliers d’objectifs, a-t-elle pu dissimiler sa maternité durant tant d’années ? Elle qui telle une prostituée du quartier rouge d’Amsterdam se donne en spectacle derrière une vitrine tout juste capable de la protéger du crépitement des flashes de photographes amateurs tremblants devant ses courbes. Elle que certaines mauvaises langues avaient accusé de travestissement ou que d’autres auteurs en quête de notoriété et d’argent facile ont placé au centre d’improbables intrigues…
Le secret de cette maternité, jalousement gardé derrière un sourire mystérieux, n’a pas résisté aux chercheurs canadiens du CNRC et à leur système d’imagerie tridimensionnelle, échographie capable de photographier dans le ventre de sa mère un enfant déjà né ! Comble du voyeurisme, me direz-vous, et je ne pourrais qu’acquiescer. C’est pourquoi je ferai taire les débats en présentant le plus simplement du monde tous mes vœux de bonheur à la Joconde et à son enfant. Cette même Joconde qui non contente de détenir le record du tableau le plus reproduit peut aujourd’hui s’enorgueillir d’être la plus vieille maman du monde.
Etonnant, non ?

J'expliquerai prochainement comment des chercheurs norvégiens pensent avoir retrouvé le père de l’enfant. Affaire à suivre.

Mieux vaut ne penser à rien...

"Mieux vaut ne penser à rien que ne pas penser du tout, rien c'est déjà beaucoup." (Serge Gainsbourg)
Les doux aphorismes de Serge Gainsbourg ayant accompagné ma pré-adolescence, mon adolescence et mon interminable attente sur le perron de la grande maison des adultes, je m'en suis approprié certains que j'ai même eu l'outrecuidance de décliner à ma convenance. Ainsi, "Mieux vaut ne penser à rien (...)", cité ci-dessus, a lentement évolué vers une forme plus affirmative, troquant la pensée contre la parole (encore un couple célèbre) : "mieux vaut parler seul que ne pas parler du tout." Du soliloque au blog, il n'y avait qu'un pas que ma paire de souliers 46 fillette m'a permis de franchir prestement.
 

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