05 octobre 2006

L'usage du monde

La description d’un paysage, d’un sentiment ou d’une humeur ne souffre pas la médiocrité. Faute de quoi elle devient aussi laborieuse et rébarbative que la soirée diapo d’un couple d’amis — piètres photographes mais charmants au demeurant — au retour de fabuleuses vacances… Et c’est parfois ce que je reproche aux récits de voyage qui, sous prétexte que l’aventure devrait suffire à contenter le lecteur, négligent la qualité du propos, usant et abusant d’une langue pauvre et morne. Les grands espaces supportent mal les champs lexicaux étriqués.
Si comme moi vos a priori sur ce genre d’ouvrages avaient la peau dure, alors laissez-vous happer par la plume de Nicolas Bouvier. Dans L’usage du monde, récit d’un voyage qui conduira l’auteur et son ami Thierry Vernet de la Yougoslavie à l’Afghanistan, la moindre description se fait holographique : une panne mécanique sur une piste isolée et c’est déjà l’odeur du cambouis qui a envahi vos narines ; l’évocation d’un soleil de plomb suffit à faire perler sur votre front une goutte de sueur ; l'odeur âcre de l'opium semble émaner des pages… Tout dans ce livre est palpable, même la lenteur que Bouvier revendique comme le luxe ultime.
« Assez d'argent pour vivre neuf semaines. Ce n’est qu’une petite somme mais c’est beaucoup de temps. Nous nous refusons tous les luxes sauf le plus précieux : la lenteur. »

Le livre existe en Poche, mais je ne saurais trop vous conseiller la réédition à l’identique de la version originale par la Librairie Droz. Elle est certes un peu plus chère mais les illustrations de Thierry Vernet qui y figurent valent largement ce petit effort.

L'usage du monde, Nicolas Bouvier (Droz)

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