La description d’un paysage, d’un sentiment ou d’une humeur ne souffre pas la médiocrité. Faute de quoi elle devient aussi laborieuse et rébarbative que la soirée diapo d’un couple d’amis — piètres photographes mais charmants au demeurant — au retour de fabuleuses vacances… Et c’est parfois ce que je reproche aux récits de voyage qui, sous prétexte que l’aventure devrait suffire à contenter le lecteur, négligent la qualité du propos, usant et abusant d’une langue pauvre et morne. Les grands espaces supportent mal les champs lexicaux étriqués.
Si comme moi vos a priori sur ce genre d’ouvrages avaient la peau dure, alors laissez-vous happer par la plume de Nicolas Bouvier. Dans L’usage du monde, récit d’un voyage qui conduira l’auteur et son ami Thierry Vernet de la Yougoslavie à l’Afghanistan, la moindre description se fait holographique : une panne mécanique sur une piste isolée et c’est déjà l’odeur du cambouis qui a envahi vos narines ; l’évocation d’un soleil de plomb suffit à faire perler sur votre front une goutte de sueur ; l'odeur âcre de l'opium semble émaner des pages… Tout dans ce livre est palpable, même la lenteur que Bouvier revendique comme le luxe ultime.
« Assez d'argent pour vivre neuf semaines. Ce n’est qu’une petite somme mais c’est beaucoup de temps. Nous nous refusons tous les luxes sauf le plus précieux : la lenteur. »
Le livre existe en Poche, mais je ne saurais trop vous conseiller la réédition à l’identique de la version originale par la Librairie Droz. Elle est certes un peu plus chère mais les illustrations de Thierry Vernet qui y figurent valent largement ce petit effort.
L'usage du monde, Nicolas Bouvier (Droz)
05 octobre 2006
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